SOURCE : LE TEMPS 19-11-2019
Le 13 juin 2019, le Secrétaire général de l’ONU, Antonio GUTERRES et le Président du Forum économique mondial (WEF), Klaus SCHWAB, ont signé un partenariat pour «accélérer la mise en œuvre de l’agenda 2030 pour le développement durable». L’alliance, faite en toute discrétion, est pour le moins controversée.
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L'embarrassant partenariat de l'ONU avec le Forum de Davos
Le 13 juin dernier, le Secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres et le Président du Forum économique mondial (WEF) Klaus Schwab ont signé un partenariat pour "accélérer la mise en œuvre...
Long de quatre pages, l’accord entre l’ONU et le WEF (l'article n'existe plus sur le site du FEM) regorge d’objectifs aussi ambitieux que déclamatoires.
Y sont réunis tous les ingrédients pour un monde heureux et égalitaire : climat, égalité des genres, santé, éducation… Pourtant, aussi grandiloquent qu’il soit, le texte semble embarrasser l’ONU. L’organisation n’a même pas pris la peine de le publier sur son site internet.
En fait, ce partenariat aurait presque pu passer complètement inaperçu s’il n’avait pas été récemment dénoncé dans une lettre cosignée par près de 400 ONG – dont Public Eye (anciennement Déclaration de Berne). Adressée à Antonio Guterres, la missive demande à l’ONU de purement et simplement mettre fin à cette collaboration jugée «fondamentalement contraire à la Charte des Nations Unies». Les ONG voient d’un très mauvais œil la soudaine place de choix accordée aux multinationales du WEF dans le processus décisionnel onusien. Elles considèrent que cet accord remet en question le fondement même du fonctionnement démocratique des Nations Unies.
Formalisation écrite du lobbyisme du WEF
Des raisons de s’inquiéter pour la bonne santé démocratique onusienne, il y en a effectivement un certain nombre lorsque l’on se penche sur les quatre pages de ce «cadre de partenariat stratégique». Le texte stipule d’emblée que les deux institutions s’aideront mutuellement à «accroître leur rayonnement, à partager des réseaux, des communautés, des connaissances et des compétences». Et ce n’est que le début.
Cette formalisation écrite du lobbyisme que pourra exercer le WEF au Palais des Nations devient en effet de plus en plus décomplexée au fur et à mesure des pages. On y apprend par exemple que le club de Davos et l’ONU pourront utiliser leurs plateformes de communication respectives afin d’accroître la visibilité des thèmes sur lesquels ils se sont mis d’accord. Le point d’orgue se trouve peut-être dans l’un des derniers paragraphes, qui laisse la possibilité d’une «planification prévisionnelle et avancée pour une coopération et un impact plus efficaces».
Du «Bluewashing»
S’il est difficile de dire à quel point ce partenariat permettra aux multinationales d’influencer les décideurs onusiens sur les mesures qui les concernent directement – le texte reste malgré tout assez vague – il leur fournit dans tous les cas une opportunité unique d’embellir leur image auprès du grand public. C’est ce que Public Eye appelle le «Bluewashing»: derrière une communication humaniste amplifiée et légitimée par des partenariats avec les Nations Unies, les multinationales ont l’occasion de détourner du débat public les sujets sur lesquels elles ont un peu moins de quoi se gargariser (extraction de minerais, pompage d’eau, pesticide et autres performances peu compatibles avec les droits humains).
Il serait néanmoins naïf de penser que les membres du WEF se contenteront d’embellir leur image à travers ce rapprochement avec l’ONU. Comme le rappelle Public Eye, le Forum de Davos avait établi il y a déjà une dizaine d’années une stratégie visant à réformer la gouvernance mondiale. Nommé Global Redesign Initiative, ce modèle de gouvernance dit de «multipartite» est décrit dans un document de 600 pages plaidant en faveur d’une intégration encore plus importante des entreprises privées au sein du système onusien. Le partenariat signé le 13 juin peut en ce sens être vu comme un aboutissement.
La légitimité des Nations Unies en question
Alors que les Nations Unies souffrent des coupes budgétaires infligées par les Etats-Unis et que la méfiance envers les élites mondiales et économiques grandit un peu partout dans le monde, ce partenariat avec le Forum de Davos risque de saper encore un peu plus la légitimité de l’ONU auprès du public. C’est certainement pour cette raison que l’administration d’Antonio Guterres est si peu bavarde à propos de cet accord. Seulement, cela ne fait qu’amplifier l’impression que le multilatéralisme se fait de façon opaque par une poignées de privilégiés. Ce n’est pas ce qui apaisera les âmes révoltées.
Lettre ouverte à M António Guterres, Secrétaire général des Nations Unies
Nous, soussignés, vous demandons de mettre fin à l'accord de partenariat stratégique récemment signé entre l'Organisation des Nations Unies et le Forum économique mondial (FEM).
Nous craignons fort que cet accord de partenariat entre le FEM et l'ONU ne délégitime les Nations Unies et n'accorde aux sociétés transnationales un accès préférentiel et déférent au système des Nations Unies. Le système de l'ONU est déjà sous la menace du gouvernement des Etats-Unis d’Amérique et de ceux qui remettent en question un monde multilatéral démocratique. Cependant, cette privatisation de l'ONU représente une menace à long terme beaucoup plus profonde, car elle réduira le soutien public au système des Nations Unies dans le Sud et dans le Nord.
Nous sommes fermement convaincus que cet accord est fondamentalement contraire à la Charte des Nations Unies et aux décisions intergouvernementales sur le développement durable, l'urgence climatique et l'élimination de la pauvreté et de la faim. Ce partenariat public-privé associera en permanence l'ONU aux sociétés transnationales, dont certaines des activités essentielles ont provoqué ou aggravé les crises sociales et environnementales auxquelles la planète est confrontée. C’est une forme d’emprise des entreprise (corporate capture). Nous savons bien que l'agrobusiness détruit la biodiversité et les systèmes alimentaires durables et justes, que les sociétés pétrolières et gazières mettent en danger le climat mondial, que les grandes sociétés pharmaceutiques affaiblissent l'accès aux médicaments essentiels, que les sociétés extractives causent des dommages durables aux écosystèmes et aux populations, et que les fabricants d'armes profitent des guerres locales et régionales ainsi que de la répression des mouvements sociaux. Tous ces secteurs sont des acteurs importants au sein du Forum économique mondial.
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